Blogues
L'impératif numérique : transformer la défense à l'ère de l'IA

Le paysage mondial de la sécurité connaît actuellement des changements sans précédent, caractérisés par la résurgence de la concurrence stratégique et la prolifération rapide des technologies de pointe. Le message de notre gouvernement et d'autres instances est clair : l'incertitude géopolitique exige un niveau de préparation plus élevé de la part des forces armées.
Le Canada ne peut plus compter sur sa situation géographique pour assurer sa sécurité, car les menaces transcendent désormais les frontières physiques et opèrent à une vitesse qui annule les avantages traditionnels. Cet environnement instable coïncide avec l'ère de l'information et la quatrième révolution industrielle, où la disponibilité des données et la puissance de calcul entraînent un changement fondamental dans le fonctionnement des sociétés et des armées. Au cœur de cette révolution se trouve l'ère de l'intelligence artificielle (IA), qui englobe l'apprentissage machine (ML), la vision par ordinateur (CV), la reconnaissance optique des caractères (OCR), le traitement en langage naturel (NLP) et l'IA générative, qui sont en train de se généraliser dans divers secteurs.
De nouvelles capacités sont développées et mises en œuvre à un rythme incroyable, l'IA et l'automatisation devenant partie intégrante des opérations militaires modernes. Il est essentiel que les militaires aient accès à ces technologies à double usage, qu'ils puissent les tester en toute sécurité et qu'ils établissent des cadres solides pour leur utilisation éthique.
Au cœur de la transformation : opérations pandomaines et avantage décisionnel
Les opérations pandomaines (C2PD) représentent un changement fondamental dans la pensée et les capacités militaires, allant au-delà des approches traditionnelles centrées sur un domaine particulier. Ce concept intègre les capacités des éléments de force dans tous les domaines opérationnels (air, terre, mer, espace et cyberespace) ainsi que l'environnement informationnel, afin d'obtenir des effets cohérents et synchronisés. L'objectif est d'optimiser le cycle de décision Détecter, Comprendre, Décider, Agir, permettant une prise de décision plus rapide, plus précise et plus nuancée. L'IA et l'automatisation jouent un rôle central à cet égard en rassemblant des données disparates et en les traitant à des vitesses dépassant les capacités humaines afin de boucler la « boucle capteur-effecteur ».
Cette transformation nécessite la capacité de partager les données de manière transparente entre les éléments de la force interarmées. Historiquement, les Forces armées canadiennes (FAC) ont été confrontées à des défis en matière d'accès et d'analyse des données en raison de systèmes hérités et d'un développement cloisonné. Reconnaissant que les données constituent un atout stratégique, le ministère de la Défense nationale (MDN) et les FAC mettent en œuvre une stratégie globale en matière de données afin de formaliser la gouvernance des données, d'améliorer leur qualité et de fournir des outils pour leur découverte, leur analyse et leur visualisation. Des initiatives telles que l'environnement de données intégré de la Marine, le lac de données de la MRC et le programme de gestion de la qualité des données visent à améliorer la fiabilité des données et à permettre une prise de décision fondée sur celles-ci.
De plus, la force interarmées doit être capable de travailler efficacement dans un environnement combiné (multinational). La plupart des opérations des FAC soulignent la nécessité cruciale de l'« interopérabilité dès le premier jour », c'est-à-dire l'intégration avec les réseaux et les systèmes des partenaires avant le début des opérations afin d'assurer une coordination et un échange de données sans faille. Les alliés de l'OTAN modernisent rapidement leurs capacités de défense, et les FAC doivent suivre le rythme pour rester un partenaire pertinent et apprécié. Les efforts de collaboration comprennent la participation à des exercices tels que STEADFAST DEFENDER et le projet OLYMPUS, ainsi que le partage de renseignements avec les partenaires du Groupe des cinq et de l'OTAN. L'ARC, par exemple, exploite des systèmes de commandement et de contrôle basés sur le nuage (CBC2) qui intègrent plus de 700 flux de capteurs et utilisent l'IA/ML pour fournir une image opérationnelle commune au NORAD, soulignant l'importance des capacités intégrées avec les États-Unis.
Pour y parvenir, il faut adopter une nouvelle approche de la sécurité centrée sur les données. S'éloignant de la sécurité basée sur le périmètre, le MDN/FAC adopte des concepts tels que la sécurité centrée sur les données (DCS) et la sécurité zéro confiance afin de protéger les données sensibles sur tous les réseaux et à tous les niveaux de classification. Cela est essentiel compte tenu du risque de cyberintrusion et de la nécessité d'opérer en toute sécurité dans des environnements contestés. IBM et nos partenaires commerciaux proposent des solutions avancées de cybersécurité qui exploitent l'IA pour la détection des menaces, la réponse et l'automatisation.
L'IA permet aux dirigeants de tous les éléments de la force et à tous les niveaux d'obtenir un avantage décisionnel en traitant et en analysant de grandes quantités d'informations à grande vitesse. Le plan de campagne numérique des FAC énonce explicitement sa vision d'une amélioration de l'efficacité, de la rapidité et de la précision de la prise de décision, tant au niveau de l'organisation que sur le champ de bataille, grâce à la transformation numérique. On peut citer comme exemples le système CBC2 de l'ARC, qui utilise l'IA/ML pour identifier les menaces et suggérer des plans d'action, et l'exploration par la Marine royale canadienne (MRC) de l'IA/ML pour la maintenance prédictive et l'optimisation de la logistique et de la planification. L'IA augmente également les capacités cognitives humaines, permettant au personnel de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée grâce à l'automatisation des processus routiniers.
Cette capacité doit être suffisamment robuste pour fonctionner dans des environnements DDIL (bande passante refusée, perturbée, intermittente et faible), être protégée contre les cyberattaques et répondre aux exigences nationales en matière de contrôle souverain des données sans nuire à l'interopérabilité. Des solutions tactiques de pointe sont à l'étude pour maintenir la connectivité dans des environnements extrêmes. Bien que l'utilisation d'infrastructures alliées ou de nuages commerciaux pour les données classifiées soulève des préoccupations en matière de souveraineté des données, les matrices de données contribuent à surmonter les cloisonnements au sein de la force interarmées. L'importance de la conteneurisation et de la portabilité des services d'IA dans une architecture hybride est implicitement reconnue par l'adoption de capacités infonuagiques et le désir de l'agnosticisme des appareils ainsi qu'une conception ouverte et interopérable.
Accélérer vers un avenir numérique
L'urgence pour le Canada de transformer numériquement ses capacités de défense ne saurait être surestimée; ne pas le faire risquerait de le rendre obsolète et non pertinent aux yeux de ses alliés. Bien que les FAC aient entrepris d'importants efforts de transformation numérique, notamment en élaborant des stratégies globales et en menant de nombreux projets pilotes, les progrès ont été lents.
Heureusement, les solutions et services d'IA sont facilement accessibles aux forces armées auprès des fournisseurs de services infonuagiques commerciaux. Tirer parti de ces innovations industrielles et les adapter aux besoins militaires est le catalyseur dont le Canada a besoin pour renforcer ses capacités. L'accent doit être mis sur le développement d'applications et de solutions qui exploitent les données dans un environnement d'infrastructure hybride, plutôt que de simplement transposer d'anciens processus analogiques vers des plateformes numériques.
La transformation numérique n'est pas un événement ponctuel, mais un processus continu vers l'innovation numérique. Elle nécessite un changement culturel vers l'expérimentation, l'agilité et une volonté d'accepter le changement et les risques calculés. En accordant la priorité à la transformation numérique, en supprimant les obstacles politiques et en favorisant des partenariats solides avec l'industrie et le milieu universitaire, le MDN et les FAC peuvent renforcer leur avantage opérationnel sur le champ de bataille, améliorer leur gestion dans le domaine organisationnel et repenser leur main-d'œuvre pour l'ère numérique, garantissant ainsi que le Canada reste une force crédible et compétente pour la sécurité nationale et internationale.